Monthly Archives: December 2012

there and back again

Nous sortons du Sud brutalement avec une arrivée crépusculaire dans un Clermont-Ferrand aux allures de Mordor. Au-delà du froid pénétrant et de l’accueil impeccable à coups de pâtes au fromage et d’appartement tout-confort à notre disposition, rien de mémorable ne s’imprime ce soir-là. Il faut dire que la fatigue accumulée et une regrettable lassitude nous poussent à réaliser des sets en demi-teinte devant un public semi-attentif. Avouons aussi que la plupart des gens sont venus pour voir le groupe british de musique roots qui fait la première partie de Deep Purple en France, et qui est tête d’affiche ce soir, histoire de changer des méga-stades où ils jouent vingt minutes. Ils nous assènent une espèce de soupe ringarde et écoeurante quelque part entre le pire de Dire Straits et le moins bon de Santana, avec machine à fumée et solos de djembé. Etrangement, le public en redemande et s’éclate comme un petit fou. Quelque chose nous échappe, définitivement, mais on ne préfère pas savoir quoi alors nous rentrons nous coucher.

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Nous nous extirpons fissa du Mordor et à peine amarrés à Lyon, nous courons (au sens propre du terme, persuadés qu’il y aura une queue de malade) voir The Hobbit le jour de sa sortie, les poches garnies du stock indispensable de Haribos, gaufres choco et Coca-Colo. Le film vaut son pesant de Haribos question effets spéciaux, mais le tout manque de charme et fait tout de même très manufacturé. L’équipe du Kraspek ce soir-là est irréprochable, du soundcheck à la quiche végé, et nous faisons un concert sommes toutes sympathique dans cette charmante petite salle des pentes de la Croix-Rousse. Un saoûl s’est endormi sur le canapé de notre loge backstage et après lui avoir remis nos hommages, nous endossons nos sacs et partons grapiller quelques heures de repos mérité.

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Le lendemain, c’est déjà Nancy, criblée ce jour-là d’averses assassines. En termes de visite de la ville, je me dis que Nancy sous la pluie aura du mal à concurrencer Nice sous le soleil et préfère partir en quête de cadeaux de Noël dans une FNAC en pleine guerre civile, pendant que Charlotte s’enfuit vers un énième jogging. Johann d’Off Kultur nous a organisé un concert en appart’ au concept “vin chaud/croque monsieur” dans le cadre d’une “grosse soirée” avec de nombreux concerts dans un complexe industriel reconverti en friche artistique. Il assure sur toutes les coutures, sauf lorsqu’il me met une grosse taulée à FIFA 2013 à deux heures du matin, abîmant mon égo de gamer à jamais. Une défaite qui me fait encore l’effet d’une brûlure cérébrale. Les concerts de la “grosse soirée” puent un peu la frime indé, à noter cependant le set bluffant du DJ Superpoze. Le public est trop cool pour applaudir, ce qui devient vite irritant quand les trois-quarts des gens présents ne prennent même pas la peine de faire signe de vie à la fin de chaque chanson, quel que soit le groupe. Il restera comme bons souvenirs les sourires et les blagues des inconnus interceptés ci et là, notamment le groupe HeyMoonshaker! (un duo combinant efficacement le beatbox et le blues) que nous rencontrons enfin après s’être manqués plusieurs fois sur la tournée. Ils ont en effet joué dans certains mêmes endroits que nous à quelques jours près, et c’est une heureuse coïncidence qui nous réunit dans la fumée des joints de cette soirée “alternative”.

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Après un mois de baluchonage dans mon pays natal, nous déguerpissons de la France pour la ville-état du Luxembourg. La richesse de l’Etat (le 2ème le plus riche du monde, en termes de PIB/habitant) est camouflée dans une sobriété décorative et architecturale qui ne trompe personne. La ville vaut le coup d’oeil cependant, ne serait-ce que pour les fossés impressionants qui entourent le bourg. Sinon il faut bien dire qu’il ne s’agit que d’un salmigondis banal de boutiques et de banques où beaucoup d’individus sont polyglottes et se fringuent “bonne famille”. Disons qu’on ressent une certaine pénurie d’esprit funky dans le coin. Nous traversons un énième marché de Noël avec son lot de marrons et  d’improbables bibelots hideux pour les non-inspirés du cadeau. Dans l’attente de l’ouverture du bar où nous jouons, nous prenons refuge de la bruine dans une bibliothèque hi-tech où je regarde Play Misty For Me avec Clint pendant que Charlotte bouquine Zadie Smith. Mon casque hi-fi/bluetooth déconne et capte des fois le son de La Princesse et la Grenouille que mate un gamin derrière moi, ce qui ne manque pas de gâcher quelques moments de suspense cruciaux. Mais je m’en fous pas mal puisque le visionnage dégénère vite en sieste anyway.

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Nous sommes invités à manger au restaurant accolé au bar, ce dont on ne ne se prive pas, vous l’aurez deviné, avec nos estomacs vides et nos esprits radins. Nous hallucinons que le riz au curry que l’on nous sert (seul choix possible pour les “artistes” qui mangent à l’oeil) dans ce restaurant indie/fusion/bullshit coûte la modique somme de 26 euros. Sans mentir, je vous fais le même demain pour 2€50. Bon, 26 euros, certes une pecadille pour les résidents, mais je vous raconte pas la sueur qui s’est mise à dévaler dans nos cous de fauchés, craignant l’entourloupe : “Putain merde, si il faut, il va falloir payer une partie…” ; “On avait droit qu’au pain Nan de gratuit en fait !” ; “Tu es bien sûr qu’il a dit qu’on avait un repas chacun de cadeau ?”. Après avoir échafaudé plusieurs scénarios d’évasion, nous sommes finalement sortis par l’avant en regardant nos pieds et sifflotant l’air de rien, espérant que personne ne nous attrape pour les épaules pour cracher la thune, du genre agrippés par le collet : “Hop hop hop, on va où comme ça les hippies, t’as cru que t’allais manger un curry à 26 euros sans lâcher des billets mon p’tit gars ?” Depuis, aucune visite d’Interpol chez moi, donc il faut croire que c’était pour la maison !

Ce soir-là hélas, un autre concert dans une pièce bruyante devant des gens en phase critique d’alcoolisation, mais nous parvenons à connecter spirituellement avec quelques curieux qui prêtent l’oreille et “accrochent à notre univers”, comme dirait l’autre. Une grosse lessive, une courte nuit dans une pièce sale et glacée, et un départ avant l’aube pour l’Allemagne, qu’il nous tarde de rejoindre.

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Hannovre nous accueille à bras ouverts, en la personne de Karsten, nouveau héros de la tournée qui vient nous chercher à la gare et nous amène à Oberdeck, un lieu du bon côté de l’underground. Le concert n’attire ainsi que des passionés venus pour écouter des chansons confortablement, grignotant des biscuits de Noël au Marzipan et sirotant la bière locale dans la bonne ambiance d’un dimanche sans prétentions. Karsten confirmera son statut de champion du booking en nous apportant un petit déjeuner copieux le lendemain matin.

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La pluie continue de nous suivre à Hambourg, où nous jouons dans un bar d’étudiants bavards tellement bondé que les gens s’asseoient sur scène. Il s’agit hélas du lieu le plus tapageur où nous ayons joué, nous donnant la furieuse impression de n’être qu’un murmure dans la tempête. Essayer d’obtenir l’attention des gens présents nous semblait aussi illusoire que de cracher sur un incendie dans l’espoir de l’éteindre. Le pauvre barman/booker/ingé son doit s’occuper d’abreuver la faune, de faire le son et de faire tourner la boîte à piécettes pour artistes mais semble gérer son submergement avec une compétence étonnante. Bon, on “fait la job” quand même, en se retenant d’entonner “Born In The USA” ou “Another One Bites The Dust” pour voir si ça provoquera une quelconque réaction, on récupère nos pourboires mirobolants et on décampe vers notre sommeil sur le canapé de couchsurfeurs doux et accomodants.

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Après un voyage étrange (je me réveille en constatant que le train est désormais sur un ferry : “Hein ?”), nous arrivons à Copenhague, prenant vite dans la tronche un certain état avancé de civilisation : la population semble belle, heureuse et en bonne santé, le vélo s’est ici imposé comme un véritable moyen de transport avec des pistes cyclables quadrillant toute la ville et aussi larges que les trottoirs. Tout est propre est bien rangé, et le design dégouline magnifiquement de tous les magasins et bars. Le Danemark se présente rapidement comme une synthèse étonnante de l’Allemagne et de la Scandinavie.

Le fameux quartier “Christiania” (ville libre) est hélas décevant. On ne saurait pas trop quoi y faire à part y acheter des t-shirts et mugs “Christiania” ou mieux encore, du haschisch étalé en plein air par des dizaines de marchands aux regards torves. Si la liberté, c’est vendre du savon bio, des stickers et de la drogue, alors l’intérêt d’un quartier “affranchi” m’échappe. J’apprécie néanmoins que dans une ville à l’apparence très blanche-de-peau, clean et un tantinet coincée, Christiania est le seul endroit où l’on peut croiser des cheveux longs, des “personnages”, des “gueules”. Ces gens libérés semblent profiter de cette liberté totale pour ne pas se raser et essayent désespérement de brader leur art périmé, une barrette de shit ou pire, de chanter à -2 degrés avec conviction une chanson de Bob Marley, la même, pendant des heures. C’est qu’ils vous dégoûteraient d’la liberté, ces oiseaux-là !

Le tout a l’air d’un joli et vieux rêve en état de moisissure avancé, engoncé dans des marchés de Noël pour les touristes en pullulation et décoré de fresques ringardes arborant villages de fées et autres imageries New Age risibles et dépassées. Nos deux concerts sur place, incrustés dans des soirées de songwriters prenant place dans des bars plaisants, exigüs et bruyants ne resteront pas dans les annales mais nous nous considérons bien chanceux d’avoir eu l’opportunité de venir dans le coin.

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Nous repartons après seulement deux jours de balades urbaines pour l’Allemagne, et plus précisément pour Trittau, un village anecdotique dans la campagne d’Hambourg. Après un itinéraire irritant, des cahots d’un train régional obsur à l’attente interminable d’un bus improbable et rempli de scouts, le pourquoi du comment m’est inconnu au sujet de notre venue dans ce coin perdu. Nous atterrissons donc, dans un froid qui casse les os, en face d’un bâtiment de gare reconverti en bar-aquarium de tabac rempli de gros poissons moches et barbus. Je ne finis pas mes frites tièdes et mon hamburger au goût de cuivre tandis que Charlotte grimace sur sa salade. Pendant le concert, que nous tentons d’expédier avec professionalisme, un soixantenaire biscornu baragouine quelque chose du genre  : “Your heart illuminates the place of us room by music”. Ce genre d’évènement ne me fait même plus ricaner, et je sens (vous l’aurez déjà deviné par le ton progressivement négatif de cet article) que l’on a atteint ce genre de sensibilité exacerbée et dangereuse de fin de tournée.

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Nous décanillons fissa de l’auberge hantée où nous passons une nuit agitée (voir photo ci-dessous, ou le froid m’oblige à utiliser le rideau pour doubler ma maigre couverture) pour la terne Chemnitz, au Sud-Est de l’Allemagne, anciennement soviétique. Nous le sentons et le savons sans même nous le confesser : nous avons atteint le bout du bout, les frontières du réel, et nous trouvons désormais bien au-delà des limites de notre patience, de notre force physique et de notre stabilité mentale. Comme par magie, c’est ce jour-ci que l’on nous offre la meilleure chambre d’hôtel de la tournée, où nous boudons et bouquinons en attendant le der des ders des concerts.

Celui-ci détiendra le record du plus petit public de tous les temps : 2 personnes dans une petite pièce sans fenêtres où sont exposées les photos apocalyptiques d’un village post-Tchernobyl. Le contexte n’est pas évident pour installer une ambiance méga-groove mais on parvient à décrocher quelques ah ah et headbangings discrets. Le booker nous invite à faire une longue pause entre nos deux concerts (alors que nous voulions tout enchaîner histoire d’en finir au plus vite) car il vient de voir sur Facebook qu’un mec annonce être en route pour le concert, et qu’il dit qu’on devrait l’attendre. Nous reprenons donc les festivités une fois que le retardataire enthousiaste se pointe, faisant grimper le compteur au nombre grisant de 3 spectateurs. Nous qui pensions achever cette tournée dans un feu d’artifices humain et musical, ce soir-là, nous déchantons. Le coeur n’y est plus, nous voulons juste rentrer chez nous.

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De retour à Berlin, où une pluie glacée lacère les joues. La neige, que l’on attendait au tournant pendant toute la tournée, nous croustille enfin sous les semelles. La chauffeuse de taxi brise la poignée de la valise de Charlotte en la sortant nerveusement du coffre, poignée qui menacait de rompre depuis des semaines. Le hasard a parfois un excellent sens du timing. Nous casons nos bagages chez l’amie d’une amie qui nous héberge avant notre départ du lendemain, ce qui signifie que nous nous retrouvons avec un après-midi entier à tuer sans l’envie de rien, absolument rien. Après avoir erré sans inspirations dans plusieurs centres commerciaux, nous nous faufilons frauduleusement dans un ciné pour revoir le début du Hobbit en 3D et le drôle, contre toutes attentes, Perfect Pitch.

There and Back again, le sous-titre de Bilbo Le Hobbit, nous paraît tout à fait coller à notre situation lorsqu’on le revoit à l’écran : nous quittions Berlin le 2 Novembre sous un beau ciel d’automne, nous y revoilà dans la tempête avec les chaussures et les voix un peu plus usées qu’au départ. Et puis beaucoup d’histoires, de chansons et de linge sale dans les bagages. Après le film, nous restons dans la salle pour faire sur papier un bilan des meilleurs et pires de cette tournée ouest-européenne épique et l’on rigole bien comme des chacaux. La boucle est ainsi bouclée. Un dernier hug à l’américaine pour la route, au milieu de la nuit, des francs remerciements et autres bons mots réciproques, et nous voilà chacun séparés, de retour sur nos trajectoires solitaires, en direction d’avions nous emportant vers nos familles, pour un Noël qui arrive à point nommé.

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Charlotte et moi sommes bien d’accord pour arrêter la vadrouille pendant un temps et se concentrer sur la composition et l’enregistrement de nouvelles chansons. Elle est maintenant de retour à Brooklyn et moi à Swansea, où je m’apprête à appuyer à nouveau sur le bouton record au studio Rook Pie en compagnie d’une pléthore de musiciens gallois doués. A l’horizon se profile une tournée en Angleterre au Printemps, en partie en formule trio et une partie avec l’excellent Odran Trümmel

A bientôt ici ou , pour de nouvelles aventures !

Stay hydrated.

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On dirait le sud

Nous passons quelques jours repus de répit et de repos à Tours, invités dans le réputé manoir de Franck du label Another Record. Nous en profitons pour rentrer chacun dans des mondes échappatoires, Charlotte allant parfois jusqu’à deux longues sessions de jogging par jour en bord de Loire, et moi en héros imaginaire, libérant des villes de l’Ouest cow-boyisant assiégées par des zombies dans Red Dead Redemption : Undead Nightmare. Pour changer d’ambiance, je joue aussi au survivant camisolé dans Dead Space II en tentant de ne pas me faire éviscérer dans les couloirs clignotants d’un vaisseau spatial infesté d’aliens. Tout ce travail de soupape nous permet de prendre des distances hygiéniques avec nous-mêmes, ainsi qu’avec notre musique, afin d’éviter la saturation qui lorgne toujours le nomade.

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Heureusement que cette pause bienvenue renforce notre blindage, car le concert du Serpent Volant (bar vaguement alternatif se voulant le repaire d’anars de la picole) prend rapidement la forme d’un combat, évidemment perdu d’avance, contre le bruit et l’indifférence. Souffrant d’une sonorisation trop légère et de la présence d’habitués imbibés étant plus venus pour parler politique entre experts que pour écouter des chansons. L’un d’eux, un quarantenaire patibulaire , daigne se retourner un moment et décolle du zinc pour venir me dire dans un jet d’haleine aux rillettes que “de toute façon, je ne sais pas jouer de la guitare”. Le rénégat fera plus tard un baise-main pervers à Charlotte, avant de lui rédiger le lendemain un e-mail dégueulasse qui nous fera bien ricaner, la grande classe.

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Notre passage au Salon Nyctalope le lendemain, petit havre de culture indépendante de l’autre côté de la Loire, permet de rééquilibrer un peu notre expérience tourangelle. J’y retrouve avec plaisir l’équipe enjouée du Salon et tout le gratin (qu’ils préparent pour les artistes), et ce soir-là, on s’amuse plus déjà à jouer de la musique, avec l’impression d’être entendu voire même écouté, les pieds dans le sable de cette cave conviviale. Pendant le test de son, je sens comme une odeur bien fétide et un tantinet canine près du “coin spectacle”, du coup je dis à Charlotte : “Don’t you think it kind of smells like dog around here ?”, ce à quoi répond un mec chelou près du bar que j’avais à peine repéré : “You are the dog”, agrémenté d’un sourire mi-dangereux, mi-benêt. Je ne sais même pas quoi répondre, ne sachant s’il s’agit d’une agression gratuite ou une blague ratée. En tout cas bonjour le malaise, ah ah. Le concert se déroule sans encombres notables, à part les “Putain, enculé !” et “Vas-y là, j’vais te défoncer !” parasites de jeunes se tapant sur Street Fighter grâce à la Nintendo vintage au fond de la pièce. Ce coup-ci, c’est Charlotte qui a du mal à accepter la parlotte du début du concert (la veille, c’est moi fulminais bêtement pendant tout le set alors qu’elle “prenait ça relax”) et va jusqu’à interrompre sa chanson pour demander à quelqu’un de finir sa conversation. Ahurissant, je ne l’avais jamais vu faire ça en 36 ans de carrière !

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Quelques mâches coulées et fondues de raclette plus loin (courtesy of Franck le Généreux, fin gourmet et fromagophile confirmé), nous partons pour Bordeaux où je rejoins mon cool frangin pour une balade dans les rues et une session-raclée de Killer Instinct sur Super Nes (vous aurez compris que je ne suis pas du genre à dire non à tout ce qui est “jeux-vidéos”). J’avais prévenu Charlotte de mon aversion pour la ville et ses habitants, sorte de racisme idiot basé sur des expériences négatives hélas répétées, et il est assez drôle qu’elle prenne aussi la ville en grippe très rapidement. D’abord en se mangeant une cyclise imprudente qui la percute à pleine vitesse (avec son bébé à l’arrière) sans s’excuser, puis en étant enfermée dans des toilettes pendant un long 5 minutes, victime d’un cadenas espiègle. Nous jouons à nouveau dans une cave, cette fois au Chicho, qui fait burrito-mojito en haut, et folk-rocko en bas, devant un public sage et jouasse. Il y aurait donc bien quelque chose de non-antipathique dans cette cité, et je suis content d’avoir cette révélation, bien qu’un peu tardive.

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A Pau, hmm, que dire ? Une plaisante ville bourgeoise assoupie comme il se doit. A minuit, nous rencontrons certainement la doublure du grand méchant Bob de Twin Peaks qui débarque dans la salle de concerts avec en bandoulière ce qui nous a semblé être un arc et un carquois mais qui est en fait une cornemuse qu’il a inventé lui-même. Charlotte apprécie tout particulièrement son collier “mini-djembé”. La soirée finit par l’intervention de la jeune Ophélie qui joue pieds nus des reprises acoustiques face à une vieille faussement blonde mais vraiment bourrée qui gesticule maladroitement et braille aux autres “Mais allez quoi bougez votre cul bande d’enculés, coincés du cul de merde ! Amusez-vous putain !” Je me dis que c’est vrai que je pourrais m’amuser quand même, mais je me retiens finalement de danser, étant bien trop coincé du cul de merde pour ça. Le booker du lieu nous fournit une critique constructive, dans une perspective de développement professionnel, citation devenue classique, lorsqu’après avoir dit, à juste titre, de faire attention à la justesse de ma voix, il balance franc de porc : “Charlotte est trop timide et joue de la batterie trop fort”.

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Le lendemain matin, nous mangeons notre petit-déjeuner avec capuche et bonnet dans la salle frigorifée de l’hôtel. J’essaye même de tartiner avec les gants pour rigoler mais ce n’est définitivement pas pratique. J’aime bien l’effort de déco, un savant mélange de récup’ Emmaüs et  d’imitation Louis XVI. Notre demande pourtant légitime de rab de confiture irrite le réceptionniste/cuisinier/homme à tout faire qui court partout le front brillant de sueur. Soudainement conscients d’être des clients exigeants et un peu chiants, nous déguerpissons illico vers la gare, slalomant entre les palmiers en contemplant la ligne d’horizon pyrénéenne qui s’offre à nous.

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Nous débarquons à Toulouse où après quelques moments appréciés de solitude campagnarde dans mon fief familial, nous assurons un set partagé assez court mais pas mal rock’n’roll au Connexion Café, lors d’une soirée organisée par l’équipe formidable (et je pèse mes mots) de l’association La CentrifugeuseCharlotte tape sur la batterie brillamment tandis que je braille mes paroles comme si on venait de me voler mon portefeuille. Quel plaisir d’être sur une scène bien éclairée avec un son de qualité, après l’enchaînement de concerts indé/DIY certes sympatiques mais aux conditions sonores aléatoires et souvent pénibles. Nous constatons à nouveau la différence majeure que permet ce confort pour une bonne performance musicale. Et je vous passe les détails des mets concoctés par les organisateurs, ventre bien rempli + qualité hi-fi = concert réussi, une équation gagnante souvent vérifiée.

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Changement de décor total puisque le lendemain, nous ne sommes plus sous les spotlights d’une scène surélevée mais dans l’arrière-salle d’une librairie dans le centre de Carcassonne, grâce à Emmanuel qui a mis en place cette chouette soirée acoustique. Le public multi-générationnel tassé dans la petite pièce  (et d’autres curieux aux oreilles espionnes grâce aux alcôves donnant sur la partie librairie) est poli, gentil et réagit timidement, semblant passer un bon moment. Quelques enfants au premier rang qui alternent entre une attention béate et du remuage impatient. Je profite d’être face à des amoureux des mots pour lire un peu de ma poésie amère, anecdotique et chômageuse. Une dame dit à la fin de la lecture, pendant le moment de rencontre “orangina, pistaches et fraises tagada”, qu’elle ne comprend pas pourquoi “les gens ne riaient pas plus” lors de ma récitation. C’est vrai que je me pose aussi souvent la question. Peut-être que simplement, certains ne trouvent pas ça drôle, grand bien leur en fasse. D’autres doivent avoir de sacrés fous-rire intérieurs. Le reste dort ou ne comprend pas le français, paix leurs âmes.

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Pour ce qui est de Nîmes, hmm. Saisi par un besoin de séparation physique temporaire dès notre arrivée, nous partons chacun de notre côté à l’assaut piéton de la ville, pour nous retrouver quelques heures plus tard par un malheureux mais comique hasard dans les allées du magnifique Parc de la Fontaine (bien plus épatant à mon goût que les Arènes romaines surévaluées). Nous jouons ce soir-là dans un restaurant vaguement “cocktail” et un peu “lounge”, qui fait la journée office de café étudiant, allez savoir. Nous nous retrouvons donc inévitablement face à des gens qui mâchent des aliments, et qui ne se sentent pas obligés d’applaudir. Le tout est assez cocasse car une scène improbable est montée spécialement pour nous des sur des tréteaux bien trop hauts, ce qui fait que pour rajouter à nos tailles déjà imposantes, nous sommes vraiment surélévés, carrément au-dessus des gens qui mangent (que je n’appelerai pas public, par souci de vérité). Du coup, les quelques personnes présentes ont capté le piège dès leur arrivée et se sont toutes assises aux tables le plus loin possible de cet autel intimidant, voyant bien le potentiel de malaise et de menace constitué par ces deux géants qui baragouinent sur leur montagne. D’autant que ne chantant pas des reprises habitées de De Palmas ou du jazz-guimauve, nous faisons vite figure de marginaux. En gros, on est vite gênés car on a vite l’impression de déranger ces braves gens qui ne demandaient qu’à manger tranquillement sans qu’on leur beugle du charabia américain.

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Dormant ce soir au-dessus du restaurant sur un matelas en mousse dans un sorte de donjon-grenier bien sordide où il faut s’éclairer à la frontale, je renonce à bouquiner ma littérature fantastique par souci de stabilité mentale. Rapidement abandonné par Charlotte qui prend fuite dans un hôtel après avoir vu notre option de pension, je suis plus tard paralysé par une peur irationnelle en pensant entendre s’exciter un monstre épiléptique dans une autre pièce. Tout ça pour finalement découvrir qu’il s’agit d’une  machine à laver dans la conforme agitation de son cycle d’essorage.

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Nous poussons ensuite vers la Provence pour rejoindre Auriol, une charmant bourgade près d’Aubagne, où une famille ô combien mélomane et enthousiaste nous accueille dans leur chaleureux foyer pour un concert acoustique à domicile. Comme souvent dans ce genre de soirées toujours réussies, les nombreux invités amènent pléthore de plats et desserts “fait maison” avant de “passer au salon” pour un concert intimiste, cette fois aussi pimenté de quelques lectures. Charlotte baptise très justement la pizza du père de famille : “Pizza Of The Gods”. Pascal fait en effet tourner le four à pizza à pleins pots au coeur de l’hiver, malgré les défis techniques que cela constitue, pour des résultats culinaires divins qui ravissent nos estomacs de voyageurs.

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S’ensuit un nouveau départ plus à l’est, à la lisière de l’Italie, pour un concert unplugged un peu étrange dans une cave voûtée de club de jazz dans le Haut-Cagnes historique de Cagnes Sur Mer. D’abord quasi-vide, l’espace se remplit au fur et à mesure d’une foule hétéroclite et apparemment désintéréssée, mais qui se précipite sur nos CDs à la fin, allez savoir. Nous finissons cet intense parcours sudiste avec notre sixième concert de la semaine pour un concert à domicile à Nice, organisé par l’excellente association Concert Chez Moi. L’ambiance est molletonneuse, les spectateurs sympathiques et concentrés, un bon moment que vous pouvez déguster avec une chanson de Charlotte ici et une de mes chansons françaises ici, merci à David et Stéphane de Bob Pretends To Be Blind pour ces chouettes vidéos.

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La journée se termine en explosion ludique, avec d’abord une partie de Loup-Garou (jeu de rôle drôle, et non atelier de confection de costumes poilus) à la bougie en compagnie de quelques spectateurs s’étant attardés, puis une session fête foraine où j’ai l’occasion de tirer à la carabine et d’abîmer mon paternel par l’intermédiaire percussif d’auto-tamponneuses. La vogue étant étonamment déserte, nous pouvons nous affronter en duel de gros bourrins, ce qui est un luxe bienvenu. Nice la colorée n’a rien perdu de sa qualité de vie, et après quelques jours trop courts près de la mer, le temps est déjà venu d’entamer notre lente remontée vers le Danemark…

(ci-dessous, dessin de Julie Ricossé lors du concert Niçois)

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